Gustave Blanchot vit ses années d’enfance à Bordeaux « avec mon chien, parmi les plantes, la terre et l’herbe, à me raconter des histoires que j’inventais à longueur de temps« . Dessinant très tôt, c’est à 8 ans qu’il invente son nom d’artiste: Gus Bofa. Son père nommé commandant militaire du Sénat, Bofa passe au lycée Henri IV « 8 à 9 années merveilleusement inutiles » et rencontre ceux qui seront ses amis les plus proches, André Dunoyer de Segonzac et Maurice Constantin-Weyer. A 17 ans, il vend son premier dessin au Sourire. Après son service militaire, en 1905, Bofa exerce un temps les fonctions d’ingénieur dans une fonderie d’aluminium et de secrétaire d’une mine de cuivre, avant de se faire un nom dans la publicité grâce aux affiches qu’il réalise pour l’office d’Edition d’Art et de Publicité et les Affiches Gus-Bofa. En 1908, il prend la direction artistique du Rire où il fait débuter un certain Pierre Mac Orlan. En 1912, on l’appelle pour diriger le Sourire. Il y crée, avec Roland Dorgelés et Gabriel de Lautrec, la Petite Semaine, modèle du Canard Enchaîné. Ces activités lui laissent encore le temps d’écrire pour le music-hall, de dessiner costumes et décors, de tenir une rubrique théâtrale et de pratiquer de nombreux sports, boxe, natation, escrime, équitation.
Avec l’appui de Pierre Mac Orlan, directeur littéraire à l’Edition Française illustrée, La Banderole et la Renaissance du Livre, Gus Bofa entame une nouvelle carrière, celle d’illustrateur. La vogue est alors à la bibliophilie et au livre de luxe. Les dessins de Bofa interprètent, transposent et commentent les textes d’auteurs contemporains comme Mac Orlan, Courteline, Béraud, Raymond Hesse, Caltier-Boissière, aussi bien que ceux de maitres anciens comme Cervantés, La Fontaine ou Voltaire. Ennemi de la « vieille gaîté française« , Bofa trouve le véhicule idéal pour son humour dans les écrits de Jonathan Swift, Thomas de Quincey, Edgar Allan Poe, Mark Twain ou O’Henry. Sa passion de la lecture se manifeste également dans un étonnant pamphlet en images, Synthèses littéraires et extra- littéraires, qui, en 1923, secoue le petit monde des lettres, et dans la rubrique de critique littéraire, « Les livres à lire… et les autres« , qu’il assure de 1922 à 1939 pour Le Crapouillot, magazine non-conformiste des arts et des lettres, né dans les tranchées de la Grande Guerre. Au fur et à mesure que se précise la menace d’une nouvelle guerre, l’œuvre de Bofa se fait plus personnelle et plus sombre. Malaises, Zoo, La Symphonie de la Peur chroniquent les moments de panne du moteur sentimental quand l’homme se retrouve « dans le tête-à-tête, sans issue, avec soi-même et sa Peur« . Après le naufrage de 1940, Bofa s’isole à la campagne, derrière des murs épais, dans une « île déserte synthétique« . Avec Solution Zéro, il liquide les souvenirs d’un passé qu’il juge désormais périmé. En 1945, Gus Bofa est sans doute au sommet de son talent. Hélas, l’époque n’est plus à la bibliophilie et l’oubli commence à se refermer sur lui. Il n’en continue pas moins de dessiner et d’écrire. Avec les extraordinaires illustrations pour Filles et Ports d’Europe et Père Barbançon de Mac Orlan, ou L’Oiseau rare de Jacques Perret, et surtout ses livres les plus personnels, Déblais, La Peau de Vieux, La Voie Libre ou La Croisière Incertaine, il poursuit une méditation aussi lucide qu’émouvante, aussi cruelle que généreuse, sur la vie, cette longue croisière incertaine et solitaire. Dans les années 60, en proie aux pires difficultés matérielles, victime de l’oubli où sont tombés presque tous les illustrateurs de l’entre-deux guerres, Bofa, malade, doit quitter Paris. Il meurt à Aubagne en 1968, à l’âge de 85 ans. Le 20 octobre 1969 et le 12 février 1970, on disperse son atelier à l’Hôtel Drouot. Durant deux décennies, son œuvre survit tant bien que mal, préservée, mais aussi confisquée, par les collectionneurs, les bibliophiles et les auteurs de bande dessinée. Il faut attendre 1983 pour qu’une exposition au musée galerie de la Seita donne enfin à un public plus large la chance de rencontrer une œuvre étonnante par sa diversité et sa richesse : contes, romans, pamphlets, albums, illustrations, dessins, gravures, peintures, pièces de théâtre, critiques dramatiques ou littéraires, affiches, poupées. Devant l’impossibilité de coller une étiquette à Gus Bofa, laissons le dernier mot à son ami Pierre Mac Orlan: « Gus Bofa est avant tout un écrivain qui a choisi le dessin pour atteindre ses buts. Un texte de Bofa, un dessin de Bofa sont construits dans la même matière et l’un et l’autre sont animés de ce même rayon de poésie humoristique qui comprend tout ce qui tient une place entre la vie et la mort. «