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Jean Veber est certainement, avec Caran d'Ache et André Devambez, l'artiste qui a le plus influencé Gus Bofa.
De Jean Veber, Claude-Roger Marx disait qu'il "était le plus philosophe et le plus désabusé" des humoristes. Après avoir étudié chez les peintres Maillot et Delaunay, Veber cause un scandale au Salon de 1897 avec un tableau représentant Bismarck en boucher, qui est refusé par les organisateurs. Ayant rejoint son frère, Pierre Veber, journaliste au Gil Blas, il publie avec lui un album caustique, Les Veber's en 1895, puis La Joviale Comédie en 1896. Au début du siècle il prend violemment parti pour les Boers contre les Anglais.
Mais Veber se veut avant tout un peintre et un artiste et la satire n'est qu'une facette de son talent. Se plaisant à tirer le quotidien vers le fantastique pour en dénoncer la bêtise, il réalise des lithographies en couleurs qui mettent à mal aussi bien l'homme de la rue, aveuglé par la cupidité, victime de la presse et des démagogues, que les hommes politiques de son temps, tels Jaurés ou Clemenceau.
En 1914, Jean Veber a 50 ans. Malgré son âge et sa notoriété, il remue ciel et terre pour pouvoir s'engager et se faire affecter dans une unité combattante. Son courage au feu lui vaut citations et galons qu'il ne demandait pas, et d'être gazé en 1918. Il mourra des suites de cette blessure en 1928. En 1929, on nommera une rue de Paris en son honneur.
Bien avant Bofa, il donne, d'un trait souple, un visage humain à des maisons qui se pelotonnent peureusement les unes contre les autres, semble faciné par les difformités du corps humain (voir sa série hallucinante sur les culs-de-jatte)dessine des fées et des géants, et peuple les forêts de fées et de géants, au milieu d'ombres inquiétantes.
Jean Veber brille par une imagination fantastique et "pas très folâtre" (Morin), qui lui fait représenter par exemple, sous le titre "Nous portons nos morts", des vivants grimpant une pente, accablés sous le poids de squelettes qui les dévorent.
Comme Bofa, Veber donne une représentation plastique à une pensée philosophique. Sa vision de l'humanité est tout aussi amère que celle de son cadet : "Toute la bêtise de vivre éclate ici, bêtise féroce qui fait se dilater la rate, bêtise à pleurer. Haines, cupidités, orgueils, toutes les faiblesses s'épanouissent, bestiales, monstrueuses, inconscientes, dans le coeur enfantin des hommes." (Claude-Roger Marx)
Bofa, inspiré directement par plusieurs dessins de Veber, rendra hommage à son modèle en l'invitant à exposer au Salon de l'Araignée en 1920.

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