Retour
"Le professeur Serge, vêtu d'un frac presque impeccable et coiffé d'un fez, fit taire les vociférateurs avec une autorité qui me surprit chez un garçon de taille aussi exiguë, dompta son public et, avec une étonnante aisance, développa tout son numéro de prestidigitation, illusionnisme, hypnotisme, lecture de pensée et physique amusante.

La seconde fois que je rencontrai Serge, ce fut au casino de Bécon, où il passait en tour de chant entre une comédie de Picratt et le vingt et unième épisode de Tue la mort. Sa merveilleuse diction, son geste sobre et précis, ses nuances très délicates d'ironie aux reprises sentimentales conquirent d'autor le public pourtant difficile de la fameuse "ceinture rouge" (...)

La troisième fois que je vis Serge, il luttait dans une cuve transparente avec un crocodile géant, après avoir déposé sur le rivage une casquette blanche à sept galons et une veste croisée bleu marine de parfait yatchman. Le colonel Serge's n'hésitait pas, en pleine plongée, à insérer sa tête dans la gueule du monstre (...)

La quatrième fois que j'eus l'occasion d'applaudir Serge, il avait été rétrogradé. Il n'était plus que captain. Je passais mes vacances à Saint Valéry en Caux (Seine-Inférieure) et m'étais rendu un soir à la représentation d'un cirque américain (...). Je le vis caracoler en cow-boy de l'Arizona, jeter le lasso sur un grizzly et tirer force coups de winchester sur un parti de Comanches aux faces bizarrement tatouées qui débarquaient directo du passage Brady.

La cinquième fois que je vis Serge, ce fut à Melun, au petit "Eden" mélancolique et crasseux qui se trouve sur le bord de la Seine près du deuxième pont. Serge avait encore changé de numéro et était devenu ventriloque."

Jean Galtier-Boissière, Mémoires d'un parisien.

crédits